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Randonnée en Haute-Provence
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écrit par Benoit Lavallée
janvier 2000
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Comme on avait, pour des raisons assez bizarres,
des vacances durant la deuxième semaine de janvier, Alex et moi avons
décidé d'en profiter pour aller faire un peu de hiking dans le sud de
la France, en Haute-Provence. Nous avons marché de Manosque jusqu'à la
sortie du grand canyon du Verdon, soit environ 100 km en cinq journées
complètes de marche.
Particularités de la randonnée en France
Nous avions déjà fait beaucoup de randonnée
au Québec et dans le Nord-Est des États-Unis, mais ce voyage nous a fait
voir les différences fondamentales qui existent entre le hiking en Europe
et en Amérique. Chez-nous, on fait du hiking dans nos grands parcs naturels
où il est possible de marcher pendant des jours sans rencontrer de trace
de civilisation. En France, il n'y a aucun espace naturel assez grand
pour marcher cinq jours sans rencontrer de villages! Pourtant, la France
est complètement recouverte de sentiers balisés, les sentiers GR (Grande
Randonnée). Ces sentiers empruntent toutes sortent de chemins : trails
de hiking normales, trails de tracteurs à travers les champs, trails de
bucherons, chemins de terre, petites routes départementales asphaltées,...
On n'est pas autant dans la nature que dans nos parcs. Par contre, ça
permet d'avoir un autre point de vue sur les paysages français que lorsqu'on
voyage par la route. On passe aussi souvent par de petits villages, alors
on n'a pas besoin d'être complètement indépendant pour le ravitaillement.
Jour 1 : Départ de Manosque
Mon backpack n'était pas trop pesant. Je
m'étais rendu compte la veille en le remplissant que ça fait toute une
différence quand on n'emmène pas de bouteilles de vin!
Nous n'avions aucune idée des possibilités
de camping le long du parcours. Il y avait du vert sur la carte pas très
loin, on s'est dit qu'il y aurait surement moyen de s'installer quelque
part dans le bois.
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On
a marché le long de la route sortant du village pendant
environ une demi-heure pour arriver à une espèce de chemin de fermiers
qui passait entre les champs et de petits bois. On a vu de vieux bâtiments
de ferme en pierre, à moitié en ruine. On a croisé un berger qui ramenait
ses moutons. Il avait deux chiens. Un blanc qui menait le troupeau
et un noir qui s'occupait des attardés derrière. On était dans la
campagne profonde.
Après avoir traversé une route pour
prendre un autre chemin de terre, on s'est retrouvé dans une zone
complètement boisée, avec quelques endroits assez dégagés pour camper.
On en a choisi un et on s'est installés. Durant la soirée, on a
vu passer deux chasseurs en pick-up, une gang dans un pick-up qui
avait l'air de nous trouver bizarres de camper là, et une femme
à cheval qui promenait son âne. En janvier, il fait noir vers 6h
et le froid arrive assez vite quand on est à rien faire. Comme on
n'a pas osé faire de feu, après une tournée des environs dans le
noir, on s'est couchés, à 7h! Plus tard dans la soirée, à moitié
endromi et croyant rêver, j'ai entendu des cloches. Alex les entendait
aussi. Ça devait être des vaches ou des chèvres qui passaient de
l'autre côté de la colline. La campagne!
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Jour 2 : Première journée complète
Le réveil était assez froid et c'était dur
de sortir du sleeping. De toute évidence, il avait gelé durant la nuit.
De la glace s'était formée sur la toile de ma tente, le long des poteaux.
Après un bon déjeuner de céréales dans le lait en poudre et du thé, on
est repartis.
Un petit bout en bordure de route et une
descente par une trail de tracteur nous on menés au petit village de Gréoux-les-Bains,
sur le bord du Verdon. On a fait remplir nos bouteilles d'eau au bar du
village. En discutant avec le barman, nous en sommes venus à parler d'une
autre différence par rapport au hiking en France, la présence d'animaux.
"Les animaux les plus dangereux ici, ce sont les gonzesses!",
nous a dit le bonhomme en riant.
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Le sentier suivait une piste
d'hébertisme le long du Verdon pour ensuite prendre une trail de tracteur
dans le bois pour monter jusqu'à une plaine où il y avait des champs
de lavande. À une intersection de sentier, il y avait une chaise,
et une affiche disant que c'était le "siège du marchand de nuages".
Il n'en avait pas beaucoup à vendre ce jour là car le ciel était tout
bleu. |
Vers midi, on est arrivés au village de Saint-Martin-de-Brômes.
En France, tous les petits commerces ferment le lundi. Et tous les petits
commerces ferment le midi. Essayez d'imaginer un lundi midi dans un petit
village perdu de la campagne française... C'était totalement désert! On
se croyait dans une ville fantôme. C'était surréaliste. Parfois on voyait
une ombre tourner un coin de rue, quelqu'un rentrer rapidement chez-lui,
une voiture passer sans s'arrêter,... Des fantômes en plein jour! Heureusement,
il y avait une fontaine où on a pu remplir nos bouteilles d'eau. On est
allé diner au soleil sur une colline en haut du village.
Après le diner, on a enfin marché sur un
vrai sentier de hiking... sur environ 500m, avant de rejoindre une autre
trail de tracteur. On a fait une longue section de montée et descente
dans le bois avant d'arriver à un grand champ plat qu'on a traversé jusqu'au
Jas du Troy. C'est une vieille maison en pierre abandonnée où il y avait
un espèce d'amas de paille sur lequel on aurait pu dormir. Malheusement
il était encore un peu tôt et on voulait s'approcher du point d'eau avant
la nuit. Nous avons campé plus loin dans un sous-bois près d'un chemin
de terre.
Jour 3 : Falaises en vue
En descendant dans le petit village de Roumoules,
on a vu un gars en train de planter de la lavande. En remontant dans les
champs par une trail de tracteur, on s'est méfiés de marquages bizarres.
On a bien fait car ils nous auraient menés dans la mauvaise direction.
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En fin de journée, on a
longé le bord du plateau sur lequel on se trouvait depuis trois jours.
On avait une superbe vue sur le lac Ste-Croix, un
réservoir hydro-électrique sur le Verdon, et surtout, sur les falaises
vers lesquelles on se dirigeait le lendemain. Le contraste était frappant
: à gauche les champs du plateau, à droite une vallée bordée de hautes
falaises. On s'est pris une place de camping avec vue sur les falaises,
sur le bord d'un petit chemin très peu passant. Pour la première fois
on s'est fait un feu de camp. Ça nous a permis de
veiller un peu plus tard. |
Jour 4 : Des vraies trails de hiking
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Nous sommes ressortis de
la vallée par une vraie trail de hiking qui nous menait tout droit
dans les falaises. C'était un sentier comme on les connait chez-nous,
complètement inaccessible aux tracteurs! C'était la montée la plus
longue et la plus raide jusque là, mais la vue de là-haut en valait
la peine. On voyait tout le plateau sur lequel on a marché les jours
précédents. On s'est rendu compte que les dénivelés qu'on avait rencontré
les jours d'avant ne nous menaient pas sur des montagnes mais nous
faisaient sortir des trous de ce plateau. L'exemple de géographie
appliquée était frappant. On voyait le plateau comme dans les cours
de géographie du primaire : une immensité de platitude surélevée couverte
de champs qui s'arrête vraiment net sur les bords. |
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On est passés par un sommet
: le signal de l'Ourbès, à 1216m. On est ensuite descendus et remontés
jusqu'à une plaine d'altitude équivalente sur des sentiers où il y
avait parfois de la neige, la plaine de Barbin. Sur la carte, on voyait
le Jas de Barbin, une maison de pierre abandonnée
où on espérait pouvoir dormir. Malheureusement, elle était moins en
état que la première. On a quand même campé près de la ruine. Le sol
n'était pas totalement couvert de neige, mais par endroits, il y avait
de grosses plaques de neige d'environ un pouce d'épais. On les a fait
fondre et filtrées pour s'alimenter en eau. On s'est encore fait un
feu de camp avec tout le bois mort qui trainait. |
Jour 5 : Entrée dans le canyon
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En redescendant de notre
montagne, on avait une vue superbe sur une mer de nuages.
On était carrément au dessus des nuages, et on voyait une montagne
qui dépassait ici et là. Plus bas, on était en plein milieu des nuages.
On est descendus dans la brume jusqu'au petit village de La-Palud-sur-Verdon,
qui est tout près du canyon. On n'a pas vu grand monde dans le village,
mais tous les magasins de plein air et tous les stands de canyoning,
rafting, escalade et autres sports (tous fermés l'hiver) nous laissaient
penser que l'endroit est beaucoup plus actif l'été. |
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Le sentier descendait en zig-zagant
jusqu'à environ 30m au-dessus du Verdon. Il faisait plutôt frais
car le soleil ne descend pas souvent au fond d'un canyon, surtout
en janvier. Il y avait quand même pas mal de végétation de notre
côté, car on était sur la face nord. Sur la face sud, il n'y avait
que quelques mousses qui s'aggripaient.
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On a marché un bout de temps aux pieds
des falaises et on a fini par trouver notre caverne.
Elle était immense alors on y a quand même monté la tente.
On s'est fait un feu de camp dans la caverne et sa lumière se reflétait
sur les murs. Dehors, la lune éclairait le fond du canyon et l'entrée
de la caverne. On entendait le bruit du feu et le Verdon qui coulait.
Près du feu on était bien, mais dès qu'on s'éloignait c'était plutôt
frais. Par l'entrée de la caverne, on voyait les étoiles au-dessus
des falaises. On distingait très bien Orion.
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Je suis descendu sur le
bord du Verdon. Je voyais la lune se refléter dans l'eau, des falaises
immenses de chaque côté, des étoiles en haut. J'entendais seulement
le bruit de l'eau. |
Jour 6 : Sortie du canyon
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Pas loin après la caverne,
il y avait la Brèche Imbert. C'est une longue montée
dont la fin s'apparente presque à l'escalade. Ça nous mène au somment
d'une falaise d'où on a une vue plongeante sur la rivière. Pour en
resescendre, de l'autre côté, c'est tellement raide qu'ils ont mis
de grandes échelles en acier. Quand on a un gros backpack sur le dos,
on a intérêt à faire attention en descendant ça! Je n'ose même pas
imaginer comment ils ont fait pour emmener tout cet acier sur place
et monter ces échelles. |
Le reste du sentier est une longue série
de montées et de descentes pour arriver à se faufiler le long des falaises.
Souvent, c'est un sentier très étroit sur le flanc de la falaise, du genre
qu'on a pas envie de tomber en bas. Parfois, plus bas, on a des sections
où il y a pas mal de végétation. On a l'air d'être en pleine forêt, sauf
qu'on voit les falaises de part et d'autre, entre les branches. Tout le
long du sentier, on n'a qu'à lever la tête pour admirer le superbe travail
de l'eau qui a sculpté ces falaises.
Pour finir, le moment que l'on attendant
depuis le début : la passage dans les tunnels! Presque à la sortie des
gorges, le sentier passe par deux tunnels, un de 100m et un de 670m, en
forme de S. Dans celui-là, c'était quasiment de la spéléologie. Du milieu,
on ne voit plus l'entrée ni la sortie. Ça prend une bonne lampe de poche.
Parfois il y avait de l'eau au fond du tunnel. Il fallait faire attention
où on mettait les pieds car on n'en voyait pas très bien l'épaisseur avec
nos lampes.
En sortant du sentier, on a rencontré nos
premiers randonneurs du voyage. Un couple d'allemands et un couple de
français qui allaient se promener un peu dans le sentier. On avait encore
une demi-heure de montée pour se rendre au belvédère du Point-Sublime,
d'où on aurait une vue finale du canyon.
Au Point-Sublime, il était passé 1h et on
n'avait pas encore diné. Alex et moi on avait tous les deux l'impression
d'avoir accompli le plus important en traversant le canyon. Pour nous
rendre à Castellane par le sentier, il fallait encore une journée de marche,
en passant par un col à 1200m où on aurait du camper. Il faisait froid,
on en avait assez de marcher et on n'avait pas envie de camper encore
à 1200m. On s'est mis à chercher un raccourci pour Castellane. On était
dans un endroit plutôt désert. Il y avait bien des affiches d'autobus,
mais ce n'était pas très précis. On a essayé d'appeler la compagnie et
le numéro n'existait plus. On a décidé de faire du pouce. On s'est d'abord
fait embarquer par un Australien en vacances (Andrew) qui nous a fait
faire 10km. Il roulait très lentement, ce qui nous a permis d'admirer
le superbe paysage. Parfois, la route passait carrément sous un rocher
qui la surplombait. Des glaçons pendaient des rochers, au-dessus de la
route. Notre Australien nous a laissés à 8km de Castellanne. C'était possible
d'arriver avant la nuit, même s'il fallait faire tout le reste à pied.
Après un ou deux kilomètres de marche, on est montés avec un couple de
néo-hippies (Corinne et Cyrille) qui ne nous ont pas dit grand chose de
leur occupation, à part qu'ils vivaient dans les montagnes. Ils allaient
à Castellane où Cyrille allait justement prendre le bus pour Nice, où
on avait prévu aller se reposer après notre randonnée. On ne pouvait pas
mieux tomber. On est arrivé à Castellane juste à temps pour prendre un
café avec eux et prendre le bus pour Nice.
La route vers Nice était toute sinueuse à
travers le montagnes. Quand on était assez haut il neigait, autrement
il pleuvait. Ça confirmait notre choix de ne pas camper ce soir là. À
Nice, on s'est pris un bon hôtel une étoile bien miteux. Mais c'était
déjà beaucoup plus confortable que les nuits précédentes. En me levant
ce matin-là, dans la caverne au fond du canyon, je n'aurais jamais pu
imaginer que je me retrouverais à Nice le soir même!
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